En 1997, lorsque nous nous sommes installés dans le village de ma femme (qui soit-dit en passant contredit ce beau proverbe en ne me donnant que du bonheur depuis 18 ans), la culture "BIO" d'un jardin potager et d'un verger était pour moi une évidence. L'envie mais aussi la logique me l'imposait: Comment peut-on aller acheter des légumes et des fruits insipides aux propriétés nutritives douteuses dans un supermarché (qui en plus se trouve à 50 km minimum) alors que l'on possède la terre et le temps pour les cultiver ?
La terre ici abonde. L'exode rural et le vieillissement de la population font que nombre de petites parcelles abandonnées sont prêtées à perpétuité sur simple demande.
Ayant vécu dans des villages, mes parents, enfants d'agriculteurs, ont toujours cultivé leurs légumes qui non seulement nous fournissaient une alimentation saine mais aussi j'imagine, permettaient de faire quelques économies.
J'ai grandi au rythme des récoltes de patates, des écossages de petits pois et nettoyages de haricots.
J'ai donc vu faire, même si je ne mettais pas beaucoup la main à la pâte...
Mais de voir faire à la pratique, il y a un pas.
Et de cultiver dans les Vosges à le faire dans les montagnes de Castille, il y en a un autre et pas des moindres.
J'ai donc beaucoup lu au début. Les bibles de l'agriculture Bio comme Claude Aubert ou John Seymour et son livre génial sur la manière de vivre de manière presque autarcique. Ces lectures m'ont beaucoup aidées pour comprendre l'importance de l'équilibre de la terre, de la faune auxiliaire, l'intérêt des engrais verts...
Mais les techniques proposées ne conviennent pas à la région où je réside. les différences d'altitude et d'orientation rendent même difficiles les comparaisons et échanges avec des amis d'autres villages proches. Dans un rayon de vingt kilomètres, certains vivant en hauteur peuvent avoir des laitues en juillet alors que chez moi c'est pratiquement impossible à cause de la chaleur. Par contre, je peux récolter des aubergines alors qu'eux ont du mal à faire mûrir leurs tomates.
Il m'a donc fallu observer autour de moi, et reproduire les gestes et les techniques des mes voisins octogénaires. Mais la patte française reste présente si j'en crois leurs commentaires: La tradition du jardin à la française me poursuit dans la recherche d'un jardin utile mais aussi esthétique, bien dessiné et agencé.
La forme de culture d'un potager espagnol
À première vue, on a l'impression d'un énorme fouillis. d'une petite jungle presque laissée à l'abandon tant la végétation est dense et les rangs de légumes serrés. Pas d'allées, pas de planches de culture, on se demande bien comment le jardinier peut biner, désherber, planter, récolter, sans tout piétiner sur son passage.
Avec la plus grande des précautions, il se faufile effectivement entre les rangs pour réaliser ses travaux et pour cela, les distances entre les rangs conseillées dans les livres n'ont pas lieu d'être ici.
Que l'on cultive, comme ici en montagne, au plus près des petits cours d'eau sur des terrasses plus ou moins hautes selon le dénivelé du terrain, ou en plaine, le principe est le même: il faut serrer au maximum les plantes entre elles pour que l'ombre protège le sol d'une trop grande insolation et évaporation. Il faut aussi planter dans des sortes de rigoles appelées "surcos" qui permettent l'irrigation par inondation, technique héritée des Maures (tout comme la culture en terrasses. Eh oui, pour irriguer, le terrain doit être obligatoirement à niveau...) qui permet un apport en eau abondant et durable.
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Cultures en terrasses |
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Plantation récemment irriguée |
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Bassin d'irrigation (alberca) |
Même si comme moi, certains arrosent au tuyau et ou en début de saison à l'arrosoir, et même dans le cas d'un système de goutte à goutte, le système de "surcos" doit être utilisé car il préserve la fraîcheur de la terre bien plus longtemps que sur un culture "plate". La plante est de plus buttée naturellement, ce qui lui apporte un maintient et un espace frais où développer des racines supplémentaires.
Mon jardin-potager franco-espagnol
C'est un terrain d'environ 300 m2 que mon beau-père possède à 50 mètres de notre maison, ce qui ici est un luxe, les potagers se trouvant quelques fois assez loin des villages. Il possède un puits. Ce sont ces deux points, la proximité et l'eau, qui m'ont fait le choisir plutôt qu'une meilleure terre éloignée. J'ai dû adapter le terrain légèrement en pente en faisant des terrasses pour niveler le sol et rajouter de la bonne terre là où la couche était trop maigre. 2 citernes et plusieurs bidons me permettent d'arroser au tuyau et à l'arrosoir.
La serre: Une serre en Espagne me direz-vous? Pourquoi faire?
Nous sommes à 800 mètres d'altitude. Les hivers sont assez rudes, avec des températures nocturnes négatives (rarement dans la journée) et des gelées tardives jusqu'en avril.
Nous sommes à 800 mètres d'altitude. Les hivers sont assez rudes, avec des températures nocturnes négatives (rarement dans la journée) et des gelées tardives jusqu'en avril.
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Les poules sont normalement dans leur enclos, mais en hiver je les laisse vadrouiller dans le potager, en prenant soin de protéger les fraisiers. |
En été, les melons charentais y mûrissent bien mieux qu'à l'extérieur...
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2 fenêtres munies de ce système génial permettent une ventilation automatique en fonction de la température interne. |
Le Potager: Composé de plusieurs petites terrasses séparées par des allées herbeuses (qui me servent à alimenter les poules), Il reste un pommier du temps où mon beau-père utilisait ce terrain comme verger (notre verger de 50 arbres fruitiers se trouve actuellement à 2 kilomètres du village). La zone la plus ombragée se compose des quelques groseilliers, cassissiers et myrtilles qui entourent la zone à compost, 3 plantes de kiwis ainsi qu'un bon rang de framboisiers palissés.
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En premier plan, les prés à poules, et au fond, la zone à compost. |
Le poulailler-SPA: Profitant d'une partie du terrain trop ombragée pour cultiver autre chose que du laurier, j'ai construit un cabanon pour ranger les outils et préparer un poulailler avec volière. Une bonne surface de terrain, la moitié à l'ombre des lauriers, l'autre moitié au soleil, permet à mes 4 ou 5 poules de s'ébattre à leur aise, gratter, manger l'herbe que je sème dans deux zones distinctes et que je leur ouvre selon les besoins. Les lentilles d'eau qui se reproduisent dans un petit bassin artificiel récupérant les eaux de pluie du toit, apportent un supplément riche en protéines (supérieur au soja) dont elles raffolent lors des chaudes journées d'été.
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Des poules saines et heureuses... |
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Un espace grillagé semé d'herbes ou de céréales: Les poules ne pourront pas le gratter, elles mangeront les pousses au fur et a mesure qu'elles grandiront et leur durera tout l'été. |
Ce jardin, cultivé dans l'art de l'agriculture biologique, en respectant les rotations et engraissé de compost (déchets ménager, restes de culture, fumier des poules), de fumier et d'engrais verts, ainsi que le verger (composé de pommiers, poiriers, pêchers, abricotiers, pruniers, cerisiers, kakis, oliviers et vigne de table) permettent d'alimenter six personnes durant presque toute l'année.