Peña de Francia (Salamanque-Espagne), 1650 mètres.
Dobson 500mm et jumelles Nikon 10x50.
À titre d'information, lorsque je cite un oculaire par sa focale, voici son rapport en grossissement dans le dobson 500 avec le correcteur de comas Paracorr:
-Panoptic 41mm: 55x
-Ethos 21mm: 110x
-Ethos 13mm: 175x
-Ethos 8mm: 290x (575x avec barlow Powermate 2x)
-Ethos 6mm: 385x (765x avec barlow Powermate 2x)
Un départ improvisé.
Comme quoi quelques fois, une sortie improvisée peut prendre une tournure inattendue.
J'étais sorti sur ce même site jusqu' à 3 heures du matin, quatre jours avant. J'avais perdu du temps à démonter le dobson que j'avais voulu installer sur un nouvel emplacement (un ancien virage rectifié de la route toute neuve qui monte jusqu'au monastère de la Peña de Francia perché à 1780 mètres). Trop venteux, comme le parking du monastère. J'avais donc dû le remonter 50 mètres plus bas sur un petit terre-plein en bord de route. J'avais déjà vu de bien belles choses ce soir-là et surtout, j'avais pu constater que cet endroit, sans pollution lumineuse et protégé du vent, pouvait me réserver de bien belles nuits d'astronomie.
Le mardi 21 octobre, j'étais arrivé entre chien et loup. Une cinquantaine de bouquetins avec leurs petits étaient réunis au sommet, broutant tranquillement au pied du monastère de la Peña de Francia. |
Le 500 monté à 100 mètres du sommet de la Peña de Francia (Salamanque) |
Mais l'autre soir, elles étaient éteintes. Coïncidence ? Résultats de mes plaintes auprès des services du parc naturel ? ou d'autres personnes ? Mystère pour l'instant...
Toujours est-il que ce soir, je suis de nouveau dans une obscurité totale. Chouette. Si cela est définitif, ce coin risque fort d'être mon poste privilégié. Le sommet est battu par les 4 vents, 90 % du temps. Mais ici en contre-bas, alors que 100 mètres plus haut, on entend les hurlements du vent, il y a à peine une petite brise. La température, comme toute la semaine, est anormalement chaude pour la saison. Une humidité inexistante. Bref, des conditions qui semblent idéales...
Deux objets observés quelques jours auparavant au même endroit.
La nébuleuse du Croissant (NGC 6888)dans la constellation du Cygne vue avec un filtre OIII dans l'Ethos 13. |
La nébuleuse du Gygne (M17) dans la constellation du Sagittaire, vue avec un filtre OIII dans l'Ethos 21. |
Et dire que j'avais hésité à sortir.
À 21h30, la nuit déjà bien installée, le dobson est monté et collimaté rapidement. Toujours une pensée pour Pierre Desvaux (que je ne connais malheureusement pas personnellement) lors de ces opérations, pour son excellent travail.
Et dès que je pointe le premier objet, l'amas globulaire M13, je constate que la nuit va être bonne: Le piqué des étoiles avec l'Ethos 21mm est exceptionnel. De vraies têtes d'épingles à presque 100x.
C'est tellement beau que je vais l'augmenter et l'observer comme jamais je ne l'avais tenté jusqu'ici: Je passe au 13, puis au 8 et au 6, et je pousse le bouchon en ajoutant la barlow powermate 2x derrière: Regarder M13 à un tel grossissement (plus de 750x), à peine perturbé par quelques timides vaguelettes de turbulence, le rend visuellement proche d'un amas ouvert, il me fait penser à la Rose de Coraline, dans Cassiopée (NGC 7789).
L'amas globulaire M13 dans la constellation d'Hercule, vu dans l'Ethos 8. |
L'étoile double Albiréo, dans le Cygne. |
22h30: je passe par les Pleiades (M45), toujours au 21mm. Je ne les vois pas entières mais les nébuleuses à réflexion autour des étoiles ressortent bien. Aux jumelles, en me calant sur le toit de la Kangoo pour éviter de bouger, l'amas est superbe.
L'amas des Pléiades (450 années-lumière), est visible à l'oeil nu comme une Grande Ourse en miniature. |
L'amas ouvert NGC 6664 près d'alfa, observé au dobson est un amas très lâche de 15-20 étoiles.
Dans Hophiuchus, les amas ouverts Melotte 186 et Cr 350 sont jolis aux jumelles, Mel 186 rentre à peine dans le champ du panoptic 41 avec le dobson.
Observer, c'est bien. Contempler, c'est encore mieux.
Le temps passe vite, trop vite quand on observe dans de bonnes conditions.
Il est déjà 23h20.
Je fais une pause, profitant de la solitude et de ce silence....
Pas de bruits....
Aucun avion qui ne vienne troubler ma contemplation...
Tout en respirant profondément, je regarde toutes ces petites lumières au loin, des villages à perte de vue vers les plaines de Salamanque et du Portugal. Seul le halo lointain de Salamanque au nord-est s'élève à une certaine hauteur sur l'horizon, arreté par une bande de brume ou de nuages qui dominent la ville. J'apprendrai plus tard que cette nuit-là, des amis astrams de Salamanque, sur leur site en plaine (800 mètres quand même, rappelons que l'Espagne est un immense plateau), à 20 minutes de la ville, n'ont pas eu de bonnes conditions à cause de cette brume qui voilait le ciel.
De temps en temps, j'entends bien la chute de quelque pierre provoquée par le sabot d'un bouquetin proche, mais guère plus.
Que j'aime cette sensation d'être, pour quelques heures, seul au monde, seul face à l'immensité de ce paysage nocturne et de ce ciel étoilé !...
La nébuleuse planétaire NGC 6781. |
Je reste donc dans cette région du ciel qui remontent la voie Lactée, maintenant que nos stars estivales du Scorpion et du Sagittaire disparaissent inexorablement jusqu'à l'été prochain.
J'observe la nébuleuse NGC 6781 dans l'aigle. Petite et ténue au 13mm, avec le filtre OIII et le 8mm, le disque devient évident et en vision décalée, on voit une sorte de Donuts spatial.
Je reprends mes jumelles, toujours pendues à mon cou, pour observer près de Deneb l'énorme nébuleuse obscure B142-143.
Just Dumbell, Just Dumbell, jingle all the (milky) way !
J'empoigne le dobson et me voilà parti vers Dumbell (M27). La nébuleuse planétaire offre toujours un spectacle de taille dans le 500, et ce soir je veux la voir avec ces conditions optimums. Réellement, je continue à la préférer sans filtre, au naturel. On la voit peut-être un poil moins contrastée (et encore) mais la vision naturelle nous permet de deviner les teintes colorées bleu et rose de la nébuleuse et d'observer les petites étoiles qui se trouvent derrière ou devant.
La nébuleuse planétaire Dumbell (M27) vue dans l'Ethos 6. |
Je regarde l'horizon qui n'est pas net. Je l'ai dit avant pour salamanque, mais on perçoit ces nuages bas partout où l'on regarde.
Moi je suis heureux, MON ciel est simplement MA-GNI-FI-QUE.
Amas dit donc ! C'est vachement beau !
NGC 1931: Nébuleuse associée à un amas d'étoile dans le Cocher. |
Près de M36 (à environ 1º), on trouve l'amas NGC 1931. Au 21mm je vois un objet diffus dont l'aspect pourrait rappeler une petite galaxie, avec au coeur quelques étoiles. Au 13mm, on distingue une nébulosité avec des étoiles et l'effet s'affirment encore plus au 8mm et avec le filtre NPB. Sur le coup, je ne comprends rien car mon Atlas Taki m'indique que c'est un amas ouvert. J'y vois pourtant bien du gaz !
C'est une fois de retour à la civilisation et internet que je verrai qu'il s'agit bien d'une nébuleuse associée à un amas ouvert. Petite erreur donc de cette bible très complète qu'est le Taki's Star qui n'indique que l'amas, tout comme le Star Atlas Project d'ailleurs, cartes plus compactes qui me suivent partout. (téléchargeables en suivant ces deux liens.)
Fouette Cocher !
01h16: Je recherche pas très loin de là, toujours dans le Cocher, C 31 (I 405) et NGC 1843 (I 410). Cette région est vraiment fantastique: J'adore ce groupe d'étoiles alignées: 19, 17, 16 et plus loin 14 du Cocher qui parait triple avec son étoile blanche et deux petites, rouge et jaune-orange, de chaque coté.
Je crois apercevoir NGC 1893 aux jumelles mais pas C 31. Au dobson avec le grand champ que m'offre le pano 41, je vois bien l'amas d'étoiles de NGC 1893 mais c'est en ajoutant le filtre NPB que je verrai clairement la nébuleuse qui l'accompagne et qui m'apparaît en forme de demi-lune (la partie la plus dense sur les photos en fait). Avec le filtre OIII, elle est superbe, formant presque un cercle complet autour des étoiles de l'amas et me rappelant un peu la nébuleuse de la Rosette.
Par contre j'ai bien du mal à visualiser C 31 (ci-devant la nébuleuse de l'étoile enflammée) même avec le filtre OIII. Le Filtre H-béta me la révèle un peu mieux, mais très faiblement. Peut-être que je ne la perçois pas bien à cause de sa grande taille. Objet qui sera de nouveau tenté lors d'une prochaine sortie donc.
Vue de C 31 ((à gauche) et NGC 1843 (à droite) avec au milieu les étoiles 14, 16, 17 et 19 du Cocher. |
La Californie, la Californie...
Le H-béta étant monté sur la paracorr, j'en profite pour me diriger non loin de là, dans Persée. Observer la grande nébuleuse Californie (NGC 1499) , que j'ai vu une fois seulement depuis que j'ai ce filtre obligatoire pour la faire apparaître. Elle est bien contrastée, et je contemple la forme identique aux photos, mais seulement en déplaçant 3 fois le pano 41 (1,2º de champ) tellement elle est énorme. C'est identique à la photo, mais sans la couleur... il faudra que je pense à la pointer avec le télescope de 200mm pour essayer de la voir, moins brillante mais presque complète en un coup d'oeil.
Une partie de la nébuleuse Californie (NGC 1499) observée avec le filtre H-Béta dans le Panoptic 41mm. |
La nébuleuse Californie se trouve à 1000 années-lumière. Elle doit son nom à sa forme rappelant l'état des USA. |
Autre objet légendaire révélé par le filtre H-béta, la nébuleuse de la tête de cheval (IC 434) dans la constellation d'Orion. Objet qui me résiste. Même avec le filtre, il y a peu, je ne l'avais pas vu.
En fait, je me rends compte cette fois-ci que je l'avais déjà vu sans le savoir. Car, naïf, je pensais que le philtre magique allait me la dévoiler presque comme sur les photos, avec son museau .
Et tout et tout...
Que nenni !
La nébuleuse de la tête de cheval est un nuage de gaz sombre et froid à 1500 années-lumière. Elle fait partie des complexes gazeux qui se trouvent dans la constellation d'Orion. |
À réessayer peut être plus tard dans l'hiver, quand elle sera plus haute. Ce doit être un objet très pointilleux sur les conditions non seulement du ciel mais aussi d'obscurité, de hauteur...
Mais je suis un peu déçu de l'investissement de ce filtre pour le résultat obtenu.
Je me rappelle d'un commentaire lu quelque part: “le filtre H-béta, c'est le filtre idéal à se faire prêter par un copain”
Encore faut-il avoir sous la main un copain qu'il l'ait et qui ne vive pas trop loin !
À présent, un peu de musique céleste.
2h35, déjà..
Le Quintette de Stephan: Cinq galaxies qui se rapprochent et qui fusionneront. (deux sont déjà en interaction) |
j' y allais surtout pour revoir le quintette de Stephan, ce groupe de galaxies en interactions, assez compliqué en visuel. Au 6mm, je vois des taches floues, mais les 5 galaxies sont parfaitement identifiables si on a les photographies en tête. Sachant que je suis en train d'admirer un accident de la circulation cosmique situé à quelques 340 millions d'années-lumière, le spectacle, bien que difficile, n'en est pas moins émouvant.
La galaxie NGC 7331, qui sert pour le repérage du Quintette de Stephan est une spirale plus détaillée à observer car elle ne se trouve "qu'à" 49 millions d'années-lumière. Je vois dans le champ une autre galaxie, NGC 7315 de magnitude 12,7.
Notre voisine à 2,7 millions d'années-lumière, la grande galaxie du triangle (M33) est presque au zénith, j'en profite donc pour l'admirer, toujours peu contrastée mais bien là dans toute sa complexité de bras spiraux vus de face. Je mets le filtre NPB qui fait ressortir justement ses bras, et ses nuages d'hydrogène ionisé.
La galaxie du triangle M33 fait partie, comme la galaxie d'Andromède M33, de notre groupe local qui comporte une quarantaine de galaxies dont la nôtre: La Voie Lactée. |
Rien que pour cette vision, on devient astronome amateur.
Superbe photo longue pose de la constellation d'Orion. On peut y voir la supergéante rouge Bételgeuse (dont le diamètre est plus grand que l'orbite de Mars) et la géante bleue Rigel (qui brille comme 55.000 soleils), la ceinture d'orion avec ses 3 étoiles alignées et près de celle du bas, la nébuleuse de la tête de cheval. À droite de la ceinture, la grande nébuleuse M42. Les grands nuages de gaz rouges visibles sur ce cliché sont très difficiles à appréhender dans un télescope à cause de leur grande taille. |
Ha-llu-ci-nant au 500, comme toujours, mais on ne s'habitue pas, surtout en début de saison.
Et surtout ce soir que le piqué du ciel est exceptionnel.
Au 41mm, M42 s'étend loin, très loin en formant une ellipse plus dense avec des parties gazeuses intérieures plus faibles, de couleurs vertes et bleues. Les filtres NPB ou OIII offrent plus de contraste mais on n'en voit pas beaucoup plus.
Mais soudain, lorsque le vent s'arrête, alors que je visite le coeur de cette gigantesque fabrique d'étoiles avec le 21mm puis le 13mm, je vois pour la première fois, non pas 6 étoiles dans le Trapèze, mais 7. De là, le bras dense qui part vers une série d'étoiles (et verc NGC 1980) a une nette couleur lie-de-vin.
Superbe!
La grande nébuleuse d'Orion (M42 et M43) vue à travers de l'Ethos 21. |
Nébuleuse de la Rosette. |
Je retourne un instant dans les Gémeaux pour observer NGC 2371, une nébuleuse planétaire qui reste petite dans le 8mm mais dont la forme de noeud papillon (ou de 8) est bien reconnaissable.
Par Jupiter ! Qu'est ce que c'est que ça?
Il est 4h20, les rafales sont de plus en plus fortes et il me faut patienter entre deux coups de vent pour observer dignement. Je décide de terminer par Jupiter qui est maintenant assez haute pour être vue dans de bonnes conditions.
Jupiter vue à plus de 700x. |
Une nuit normale, au 500, je peux observer les deux bandes équatoriales avec la tache rouge et d'autres formations comme des taches noirâtres et autres. Mais à partir de ces bandes vers les pôles, je ne vois souvent que des masses grisâtres un peu colorées, au plus une ou deux bandes fines.
Aujourd'hui je peux admirer à ces endroits plusieurs petites bandes ocres de chaque coté des pôles. Incroyable.
Entre deux rafales, j'ai l'impression d'être devant une photo de la sonde Voyager.
Je m'amuse à mettre des filtres bleu et vert pour faire ressortir les bandes mais c'est au naturel qu'elle est belle.
Les 4 satellites, Ganymède, Io, Europe et Calisto, parfaitement alignés, deux de chaque coté de la planète. Io est très proche d'elle. Elle venait de sortir de son occultation vers 2 heures du matin mais je ne l'ai pas observée à ce moment-là.
Sirius est en fait une étoile double dont la compagne est très difficile à observer, même dans un télescope. |
Puis j'observe près d'elle (je ne veux pas partir), dans le Grand Chien, le petit disque verdâtre de la nébuleuse planétaire NGC 2438 dans l'amas ouvert M46.
Le vent devient vraiment un problème et interrompt une session qui sinon aurait duré jusqu'à l'aube.
Heureusement, cette nuit on a changé d'horaire.
J'aurai le droit de rester une heure de plus au lit.
C'est toujours ça de gagné.