Dans l'Europe du travail, il reste encore bien du chemin à parcourir en terme d'égalité entre hommes et femmes, dans tous les domaines et dans tous les pays, à des niveaux différents. L'Espagne est-elle, dans ce domaine aussi, à la traîne?
Un pays encore très machiste
J'ai passé peu d'entretiens d'embauche en Espagne, car très vite, devant le peu d'offres sur Salamanque et les mauvaises conditions de travail, j'ai rapidement opté pour me créer moi-même mon emploi. Je me souviens cependant avec précision de cette entrevue avec le patron d'une grande et réputée entreprise de Salamanque, leader mondial dans la vente de meubles de luxe à l'ancienne. La première visite quelques jours plus tôt avec un responsable de la boite, avait attiré mon attention: Dans les bureaux, pas une seule femme. "Choix du patron" m'avait répliqué le gars, laconique.Je ne pus résister, une fois le "boss" devant moi, de lui demander ses motivations devant un tel fait. "Je n'embauche pas de femmes car elles tombent enceintes, vous voyez ce que je veux dire..."
Je crois que ce jour-là, mon arrogance m'a coûté le poste que je briguais. Sans regrets d'ailleurs, je n'aurais pas fait de vieux os dans une telle ambiance.
L'homme, et cela se captait au premier coup d'oeil, était un digne représentant du "Macho ibérique". Les faits remontent à 20 ans, et même alors, j'ose supposer que ce genre de comportements n'étaient pas la norme. Mais j'ai plusieurs fois depuis, entendu ces mêmes arguments; La femme mère, travailleuse peu fiable avec ses arrêts maladie, ses congés pour allaitement, et ses absences rythmées par les grippes et autres maladies de ces enfants.
Le comble ! en 2014, une femme, Mónica Oriol, présidente du cercle des entrepreneurs espagnols, affirme qu'elle préfère embaucher des femmes qui ne comptent pas avoir d'enfants.
Les femmes au foyer par vocation sont une espèce en voie de disparition. La vie actuelle permet à peu de familles de s'appuyer sur un seul salaire et celles qui restent à la maison ne le font généralement pas par choix sinon parce que le rôle de s'occuper des enfants ou des parents âgés retombe toujours sur elles. Sans parler des taux de chômage bien plus importants chez les femmes que chez les hommes.
Carmen voudrait être suédoise
Tout le monde en parle ici, les pays nordiques nous font envie et sont l'exemple à suivre: Pour leurs systèmes éducatifs, pour leurs acquis sociaux et l'efficacité de leurs administrations.
On oublie vite la quantité d'impôts qu'ils paient pour cela, le taux faible de fraude fiscale et de corruption, mais on aimerait tant leur ressembler.
Tout est fait dans ces pays pour encourager la natalité, pour que la femme puisse conjuguer du mieux possible sa vie professionnelle et familiale: Aides, congés avec assurance de retrouver son emploi, crèches, travail à temps partiel, retraite...
Ici en Espagne, c'est le désert ou presque.
Des journées interminables: Ici, pas de 35 heures, de longues journées avec des heures "sup" pas ou mal payés et l'idée de beaucoup est encore du genre "plus je ferai d'heures, mieux je serai vu, même si j'en fais moins que celui qui part à l'heure." Et ce n'est malheureusement pas faux.
Une flexibilité du travail encore absente: Dernièrement, les contrats de demi-journées voire d'une heure ou deux représentent plus de 90% des nouveaux emplois de 2015 mais ce sont des emplois précaires, des "mini-jobs. La possibilité d'adapter son temps de travail à sa situation familiale est un fait encore très marginal. Une infirmière espagnole hallucinerait si ma soeur lui racontait comment elle a pu, en fonction de l'âge de ses enfants et de sa disponibilité, travailler à plein temps, mi-temps, trois quart temps...
Un salaire plus bas pour le même travail: Ici, la différence entre homme et femme est de presque 25%.
Pas assez de crèches: Et souvent trop chères pour les faibles salaires. Ce sont les grands-parents qui assument toujours plus, le rôle de nounous, avant et pendant la scolarisation des enfants, vacances comprises.
Des aides pratiquement inexistantes et différentes selon les régions: Les allocations familiales n'existent pas en Espagne. Certaines aides concrètes peuvent être allouées dans les cas de mères célibataires ou divorcées (le collectif le plus exposé à l'exclusion sociale), de famille nombreuses (réductions dans les transports publics, université gratuite) ou aux revenus faibles (bourses scolaires, aides à l'achat de livres scolaires). Des aides souvent très différentes selon que l'on vit dans une communauté autonome ou une autre, et qui sont renforcées ou supprimées en fonction du parti qui la gouverne.
Manque de volonté, de moyens ou de vue politique ?
Comment une société, tout comme une entreprise, peut-elle se tirer une balle dans le pied en passant à coté du potentiel féminin, de son génie, de sa créativité, de son intuition, de son courage et de sa ténacité ?
La société espagnole vit un court instant la lumière sous la seconde république, en 1931, en donnant à la femme, un statu unique pour l'époque (droit de vote, avortement...), avant de sombrer de nouveau dans l'obscurantisme sous la dictature de Franco.
José Luís Zapatero fut sans doute l'homme politique qui récemment, a le plus travaillé dans le sens de la pleine égalité homme-femme. Avec des gestes hautement symboliques comme la nomination d'une femme à la vice-présidence, et d'un grand nombre d'entre elles, comme jamais auparavant, dans ses deux gouvernements. Mais aussi grâce à des mesures comme le renforcement des lois contre les violences conjugales, l'avortement, le chèque "bébé" (une aide unique de 2.500 € pour la naissance d'un enfant, mise en place en 2007 et qui sera supprimée en 2010 avec la crise)..
L'annonce faite par Mariano Rajoy l'année dernière d'augmenter entre 5% et 15 % la retraite des femmes ayant eu au moins deux enfants, et mise en place en début d'année, est sans nul doute une bonne nouvelle même si cela reste une misère comparée au "sacrifice" professionnel que représente élever ses enfants.
Des mesures positives mais insuffisantes, et assujetties au contexte économique (état des finances) et aux changements de gouvernements, quand elles ne sont pas seulement de purs produits de marketing politique énoncées le temps d'une campagne électorale.
On en a eu la preuve avec la réforme de la loi de l'avortement votée par le gouvernement conservateur actuel, qui même si, sous l'opposition d'une majorité de la société et de certains membres de son propre parti, s'est transformée en une proposition "décaféinée" du projet de loi annoncé, nous rappelle que le droit des femmes n'est jamais chose facile et définitive dans "ce pays de curés et de nonnes", comme le définissait Napoléon.
En savoir plus:
Les espagnoles votent...jusqu'à Franco.
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