Ce blog ne prétend rien d'autre que d'être une suite d'articles sans liens ni thématiques particulières. Il fait part de la vision d'un expatrié sur ce merveilleux pays qui l'a accueilli, essayant d'en donner une image diffèrente des clichés qu'en ont souvent ceux qui le méconnaisse. Il cherche aussi à temoigner d'une expérience personnelle qui prouve que le bonheur n'est pas une chimère...

13 déc. 2013

Bonjour fascisme !


Ce mois-ci, en rapport avec la dernière perle (Loi de sécurité) que vient de nous pondre le gouvernement ultra-conservateur actuel et ses dérives totalitaires, je ne résiste pas à la tentation de traduire cette réaction qui circule sur le net et que je souscris totalement.
Son auteur, Luis García Montero, est poète et critique littéraire, essayiste, professeur de littérature espagnole à l'Université de Grenade.


crise et manifestations en espagne

Je garde deux sensations très précises des années que j'ai vécues sous la dictature de notre grand général Francisco Franco: La peur de la Police et le contact quotidien avec le mensonge. Je sais que la réalité espagnole s'est peu à peu adoucie à mesure que nous nous éloignions de la saignée provoquée par le putsch militaire de 1936, mais dans l'air que je respirais dans les années 50, 60 et 70, on pouvait facilement sentir l'odeur de la peur et du mensonge.

Les journaux mentaient autant par ce qu'ils racontaient que par ce qu'ils taisaient. La rhétorique sur l'empire, la race, la patrie et  la gloire, que l'on nous enseignait dans les classes de Formation de l'Esprit National, s'écroulait aux premiers regards sur le monde extérieur. Un pays pauvre, assisté,  humilié, sans science, sans économie solide, sans culture publique, sans répercussion internationale, souffrait sous les ailes de l'aigle (Symbole du drapeau franquiste - ndt).
Plutôt une poule qu'un aigle... 
Les couleurs du drapeau servaient seulement à nous rendre rouges de honte et jaunes d'envie lorsque nous commençâmes à découvrir ce qu'était la vie, à l'extérieur.              

Les politiciens mentaient. Et je ne fais pas référence aux demi-vérités et aux manipulations propres à l'électoralisme. Ils mentaient vraiment, profondément. Comme moi, adolescent, lorsque les curés du collège m'obligeaient à me confesser. Nous étions les héritiers d'un régime basé sur l'instauration officielle du mensonge.
Le général Miguel Compins, Commandant de la région militaire de Grenade, fut arrêté dans son bureau par les franquistes, alors qu'il était tranquillement en train d'exécuter  les ordres du gouvernement, et fut fusillé pour avoir aidé la rébellion (il avait rejoint Franco mais était jugé trop "tiède"- ndt)Ce ne fut pas un cas isolé. Le loyal devenait le rebelle, il faisait chaud en hiver et froid en été, les poissons volaient dans les nuages et les oiseaux nageaient dans les profondeurs des mers si ainsi l'affirmait l'Autorité.

Personne, bien sûr, ne confondait la vérité officielle avec la réalité. Cela créa un fossé profond entre l'État et la rue. Nous sommes aujourd'hui les héritiers de cette division imposée par cette habitude de mentir. Ce qui commença par être un petit mensonge électoral dans l'Espagne démocratique, débouche aujourd'hui sur le retour incomplexé du mensonge fasciste. (L'auteur fait référence ici au gouvernement qui, depuis 2 ans, fait exactement le contraire de son programme électoral pour lequel il a été élu, et nie en bloc toutes les affaires de corruptions dans lesquelles son parti est impliqué actuellement - ndt) 
Rajoy jure qu'il ne connaissait pas les activités corrompues de son trésorier le plus intime, comme si rien n'était... (voir l'Affaire Barcenas - ndt)
Ana Botella (Maire de Madrid et femme de l'ancien président Aznar - ndt) dit que la Réforme du Code du Travail a sauvé les emplois des travailleurs des voiries de Madrid, comme si rien n'était...
On ment sur l'économie, le chômage, la politique internationale, l'honnêteté de la famille royale, comme si rien n'était...
Les institutions - par exemple le pouvoir judiciaire - sont un mensonge en fonctionnement. Il recommence à faire chaud au mois de janvier. 
La mode des mémoires  politiques (l'auteur fait-il référence aux nombreux livres  d'hommes politiques publiés dernièrement? - ndt) et l'inauguration de la Fondation Felipe Gonzalez ont lieu parce qu'un moratoire illimité sur le mensonge a été instauré. Ici en Espagne, l'erreur personnelle est une maladie décataloguée des consciences.

Nous sommes également revenu au cri de "La rue est à moi". Il fut lancé par Fraga Iribarne pour nous rappeler en 1976 la règle numéro un de la dictature qu'il avait servi. (Fraga, ancien ministre du tourisme de Franco et ministre de l'intérieur du gouvernement de transition, fut un des rédacteurs de la constitution de 1978. Il fut un ministre de l'intérieur discuté, chargé de museler les forces de gauche. Il prononça cette fameuse phrase en réponse à la tentative de manifestation de l'opposition le 1er mai 1976 - ndt)
Répondant à ses origines, le gouvernement du Parti Populaire a transformé en loi le cri de Fraga (le gouvernement est sur le point de légiférer pour interdire tout rassemblement de protestation dans le style des indignés de la Puerta del Sol, entre autres restrictions des libertés individuelles - ndt)
Au lieu de respecter et solutionner les problèmes graves des citoyens, il criminalise leurs protestations à l'aide d'amendes démesurées et de stratégies d'impunité pour la répression. La loi hypothécaire nous  a laissé sans maisons et la loi muselière sans rue. Deux formes d'expulsion. Dorénavant, nos rapports avec la Police espagnole seront basés sur la peur. Fini la confiance. Les forces de sécurité auront comme ennemi le citoyen. La patrie produit encore une fois des étrangers dans leur propre pays. Oser mettre un pied en dehors de la majorité silencieuse sera un acte intolérable de rébellion. Exiger et pratiquer les droits constitutionnels pourront nous convertir en complices d'un soulèvement.

Bonjour fascisme. Les espagnols recommencent à vivre une réalité quotidienne fasciste. On peut discuter s'il s'agit de pré-fasciste, post-fasciste, para-fasciste ou quasi-fasciste. Mais l'évidence est que nous sommes dans un décor de carton-pâte fait de mensonges et sur une place d'armes qui appartient seulement à l'Autorité. La rue ne fait plus partie de nos droits. Cohabiter signifie obéir à l'absolutisme de députés et ministres qui sont les héritiers du dictateur. (L'auteur applique ici les superlatifs diputadisimos et ministrisimos, difficilement traduisibles,  et signifiant "très grand", en  référence au titre du dictateur Franco: Grand général ou Generalísimo - ndt)

Vous pourrez me dire qu'ils sont arrivés au gouvernement par les urnes. Arriver au pouvoir par les urnes n'est pas une chose nouvelle pour le fascisme, et encore moins rompre ses contrats électoraux.
Vous pourrez me dire que les gens vont revoter pour eux. Cela ne signifie pas qu'ils ne seront plus fascistes, sinon que le fascisme s'est installé dans les procédures démocratiques. Dans une réalité fondée sur le mensonge, avec une profonde division entre l'Espagne officielle et l'Espagne réelle, entre les mondes virtuels et l'expérience en chair et en os, les votes perdent leur lien avec la rue et deviennent partie intégrante du jeu vidéo des superstitions.
Sans un patrimoine légal démocratique, il peut y avoir des votes, mais il n'y aura pas de démocratie.

Ni souveraineté populaire, ni institutions représentatives, ni participation.
Mensonge et répression policière: Bonjour fascisme !

Luis García Montero



Texte original:

Buenos días fascismo

Guardo dos sensaciones precisas del tiempo que me tocó vivir bajo la dictadura del caudillo, nuestro generalísimo Francisco Franco: el miedo a la Policía y el trato cotidiano con la mentira. Ya sé que la realidad española fue suavizándose conforme nos alejábamos de la sangría provocada por el golpe militar de 1936, pero en el aire de los años cincuenta, sesenta y setenta que yo respiré podía percibirse con facilidad el olor del miedo y de la mentira.

Los periódicos mentían tanto por lo que callaban como por lo que decían. La retórica sobre el imperio, la raza, la patria, la gloria que nos enseñaban en las clases de Formación del Espíritu Nacional no resistía las primeras miradas sobre el mundo. Un país pobre, menesteroso, humillado, sin ciencia, sin una economía sólida, sin cultura pública, sin repercusión internacional, sufría bajo las alas del águila. Más bien una gallina. Los colores de la bandera solo servían para ponerse rojos de vergüenza y amarillos de envidia cada vez que íbamos descubriendo lo que era la vida.

Los políticos mentían. Y no me refiero a las verdades a medias y las manipulaciones propias del electoralismo. Mentían de verdad y hasta el fondo, como yo de adolescente cuando me obligaban a confesar los curas del colegio. Éramos herederos de un Régimen basado en la instauración oficial de mentira. A Miguel Compins, Comandante Militar de Granada, fueron a buscarlo los golpistas a su despacho, en donde estaba tan tranquilo cumpliendo órdenes del Gobierno y de la superioridad, y lo fusilaron por ayudar a la rebelión. No fue el único caso. El legal era el sublevado, en invierno hacía calor, en verano frío, los peces volaban por las nubes y los pájaros nadaban por las profundidades del mar si así lo afirmaba la autoridad.

Nadie, claro está, confundía la verdad oficial con la realidad. Eso creaba una separación tajante entre el Estado y la calle. Hoy somos herederos de esa división impuesta por la costumbre de mentir. Lo que empezó siendo la mentirijilla electoral en la España democrática desemboca hoy en el regreso a la desvergonzada mentira fascista. Rajoy jura que no conocía las actividades corruptas de su tesorero más íntimo y no pasa nada. Ana Botella dice que la Reforma Laboral ha salvado los puestos de trabajo de los trabajadores de la limpieza en Madrid y no pasa nada. Se miente sobre la economía, el paro, la política internacional, la honradez de la familia real, y no pasa nada. Las instituciones –véase el poder judicial- son una mentira en funcionamiento. Ha vuelto a hacer calor en el mes de enero. La moda de las memorias políticas en nuestro país y la apertura de la Fundación Felipe González se deben a que está vigente una veda infinita para las mentiras. Aquí el error propio es una enfermedad descatalogada en las conciencias.

También hemos vuelto al grito de “la calle es mía”. Lo lanzó Fraga Iribarne para recordarnos en 1976 la norma número uno de la dictadura a la que había servido. Respondiendo a su origen, el Gobierno del PP ha dado forma de ley al grito de Fraga. En vez de respetar y solucionar los problemas graves de los ciudadanos, criminaliza sus protestas con multas desmedidas y con estrategias de impunidad para la represión. La ley hipotecaria nos deja sin casas, la ley mordaza sin calle, dos formas de desahucio. A la Policía española deberemos tratarla con miedo. Se acabó la confianza. Las Fuerzas de Seguridad tienen como enemigo al ciudadano. La patria produce otra vez extranjeros en su propio país. Atreverse a poner el pie fuera de la mayoría silenciosa es un acto de rebeldía intolerable. Exigir y practicar los derechos constitucionales puede convertirnos en cómplices de la sublevación.

Buenos días, fascismo. Los españoles volvemos a vivir en una realidad cotidiana fascista. Podemos discutir si se trata de prefascista, posfascista, parafascista o cuasifascista, pero la evidencia es que nos hemos instalado en el cartón piedra de la mentira y en una plaza de armas que sólo pertenece a la autoridad. Entre nuestros derechos no está la calle. Convivir es obedecer bajo el absolutismo de unos diputadísimos y unos ministrísimos que son herederos del caudillo.

Podrán decirme que han llegado al Gobierno por las urnas. Llegar por las urnas al fascismo no es algo nuevo, ni resta gravedad, sobre todo cuando se incumplen los contratos electorales de forma desvergonzada. Podrán decirme que la gente volverá a votarlos. Eso no significará que dejen de ser fascistas, sino que el fascismo se ha instalado en los procedimientos democráticos. En una realidad fundada en la mentira, con una división tajante entre la España oficial y la España real, entre los mundos virtuales y la experiencia de carne y hueso, los votos pierden su vinculación con la calle y pasan a ser una parte más del videojuego de las supersticiones. Sin patrimonio legal democrático, podrá haber votos, pero no habrá democracia.

Ni soberanía popular, ni instituciones representativas, ni participación. Mentira y represión policial. Buenos días, fascismo.

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